Le 17 novembre s’est tenu la demi-journée « Extravagantes bénédictions » à l’Unil. Cet article en résume les éléments principaux et le déroulement.

Lors de la tenue des Assises Romandes de Liturgie, l’Institut lémanique de théologie pratique a convoqué une après-midi d’étude sur le thème des Extravagantes Bénédictions.

Durant cette après-midi, plusieurs intervenant·e·s ont pu présenter au public une « nouvelle » vision des pratiques de bénédiction. Ce texte est un condensé de ce avec quoi je suis ressorti·e après cette belle, intense et rafraîchissante discussion.

Déroulement de la demi-journée

Témoignage de soeur mystique

La première personne qui a apporté son témoignage était une Sœur de la Perpétuelle Indulgence : Nicolas Johan LePort Letexier, alias « Mystique », du chapitre de Montréal.

Non, ce n’est pas une bonne-sœur, au moins pas comment vous pourriez l’imaginer. En effet, l’histoire des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence commence en 1979 lorsque trois hommes décident de s’habiller en nonne lors d’une marche dans la Castro Street, la rue gay de San Francisco. Leur présence était entre autres inspirée par les chrétien·ne·s qui venaient dans cette rue pour prêcher la guérison de l’homosexualité immorale, pêché mortel (sic). La suite de cette passionnante aventure est magique : vu le succès de leur déguisement inspiré de l’art Drag Queen nonne, les trois hommes décident de continuer leurs actions et font des émules tout en se structurant. Ces sœurs queer commencent à avoir une règle, faire des adeptes et découvrent peu à peu que dans la communauté LGBTIQ+ il y a un besoin immense de partage. Le fait que les sœurs s’habillent en nonne et sont présentes un peu partout dans les lieux communautaires (bars, saunas, rues, etc.), les rend accessibles et leur habit pousse d’abord les gens à sourire, puis peu à peu à jouer au jeu et faire semblant de se confesser pour finir par parler de questions intimes et intenses assez naturellement. C’est grâce à cette magie que les sœurs sont devenues peu à peu les anges gardiennes de la communauté, luttant contre l’homophobie, la stigmatisation des personnes séropositives, le VIH, et pour la joie.

Mystique, avec son sourire décapant et accueillant, nous a montré comment dans la communauté LGBTIQ+ il y a un besoin immense d’écoute, spiritualité, réconciliation et accueil inconditionnel des personnes, là où elles sont et telles qu’elles sont. En effet, qu’est-ce qui est plus extravagant ? Un homme qui s’habille en bonne sœur ou un évêque ? Est-ce que c’est plus bizarre de donner une écoute présente, vraie et bienveillante à un homme gay en pleurs qui raconte ses souffrances dans une back room sexuelle d’une discothèque ou d’un sauna, ou bien d’écouter de manière répétitive les confessions d’une personne dans un confessionnel dans une énorme Église ? Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, grâce à leur bienveillance, amènent l’écoute profonde que Jésus avait pour chaque personne aux marges là dans les lieux où les marginaux qui ont des besoins sont : rue, saunas, backroom.

Témoignage d’Ari Lee

À la suite de cette présentation, Ari, étudiant en théologie & Drag Queen, de l’Université de Berne, nous a présenté son rêve : devenir pasteur Drag Queen à temps plein. En effet cette tenue qui pour les néophytes semble une mascarade de la féminité, est une représentation de la performativité de nos expressions de genre. Tout le monde performe son genre tout le temps, les Drag Queens ne font qu’exaspérer artistiquement cette expression pour mettre en évidence son absurdité et sortir de la banalisation tout en normalisant la liberté d’expression de son genre de chacun·e. Et c’est cet air frais de liberté, remise en question et changement que Jésus nous a porté, son souffle nous parvient à travers ces manières originales de vivre son message.

exposé de remy bethmont

Suivant ces deux témoignages de terrain, Rémy Bethmont, professeur d’histoire et civilisation britanniques, de l’Université Paris 8, nous a exposé des exemples d’autres confessions chrétiennes (notamment les Églises anglicanes en 1970) où on a choisi une manière originale et libre pour célébrer les unions de même sexe. Rémy nous rappelle comment dans ses recherches il a rencontré des récits de pasteur·e·s ayant marié des personnes de même sexe qui dans leurs rites faisaient souvent recours plus aisément à différentes parties « éthiques » de la Bible parlant de pardon, charité et justice, alors que les mariages habituels citent souvent simplement le Cantique des Cantiques.

exposé de josselin ticou

Josselin Tricou, maître-assistant, de l’Institut de sciences sociales des religions, Université de Lausanne, nous a parlé de la performativité des rites queer, en dépit de leur aspect parodique. En effet, il nous a rappelé que ces rites qui sont « hors Églises », malgré leur marginalité et le fait qu’ils sortent des canons, ont un effet important pour les personnes LGBTIQ+ qui ont été souvent (majoritairement) rejetées, jugées, humiliées et isolées par les Églises. Faire la paix avec ces évènements traumatisant à travers la présence salutaire, bienveillante et rassurante d’une Sœur de la Perpétuelle Indulgence, souvent lors de la période forte de morts à cause du VIH, servait de pansement au manque de suivi spirituel des personnes LGBTIQ+ malades. Typiquement, le couvent des Sœurs de Paris organise des weekends de « Jouvence » pour permettre aux personnes LGBTIQ+ un ressourcement de l’âme loin de tous les problèmes de temps d’une fin de semaine. Les habits des sœurs finalement « font » leur identité et leur perception qui les rend des accompagnatrices de la communauté et de ses charges émotionnelles, mémorielles et symboliques.

intervention de joan charras-sancho

Dre Joan Charras-Sancho, chercheure associée, de l’Institut lémanique de théologie pratique, Université de Lausanne, nous a fait un résumé de la journée basé sur 5 piliers :

  • Recherche de légitimité
  • Mise en place de rituels
  • Question de la territorialité
  • Aspect de la visibilité
  • Service communautaire

Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence ont su déconstruire la légitimité de la normativité pour se réapproprier des corps LGBTIQ+ selon leurs propres règles et grâce à des rites qui ont permis d’exorciser les maltraitances spirituelles vécues par la communauté. Tout cela a pu être fait grâce à elle, là où les personnes LGBTIQ+ se trouvaient déjà, dans leurs lieux safe, dans leurs cocons de sécurité, tout en assurant une visibilité de la présence bienveillante grâce à l’habit. Ce service est une nécessite qui a su être cueillie et mise à disposition de la communauté par un groupe de personnes qu’on pourrait à première vue juger comme « extravagantes » et « bizarres » mais qui sont en réalité des messagères de l’Amour de Dieu.

présentation du mémoire en cours de rédaction de marie duruz

Marie Duruz, assistante diplômée, de l’Institut Romand des Sciences Bibliques, Université de Lausanne nous a ensuite présenté son travail de mémoire et Olivier Bauer, professeur ordinaire, de l’Institut Lémanique de Théologie Pratique, Université de Lausanne a conclu la journée d’étude.

célébration extravagante

À l’issue de cette journée, Andrea Coduri, coresponsable du Groupe Église inclusive de l’EERV, a organisé une célébration extravagante en collaboration avec Ari, Sœur Mystique et Olivier Bauer. Toutes les personnes présentes y compris les célébrant·e·s, ont ressenti le souffle de l’Amour de Dieu lors de ce moment fort. En effet, malgré le maintien d’une structure pas si lointaine d’un culte, les paroles dites et la manière dont le texte a été interprété nous ont fait réfléchir à une autre manière plus originale de traiter des thèmes fondamentaux que la Bible nous inspire. Dieu était présent·e et nous a béni·e·s tou·te·s.


Andrea Coduri travaille comme coresponsable de la Plateforme des inclusivités LGBTIQ+ de l’EERV ainsi qu’animateurice jeunesse régional à 50%.
Auparavant éducateurice au Foyer Relais et à la fondation Astrée (Association de soutien aux victimes de traite et d’exploitation) ou encore Fleur de Pavé à Lausanne qui s’engage pour accompagner les travailleuses et travailleurs du sexe. Andrea Coduri a empoigné ce poste important pour soutenir l’inclusivité des personnes LGBTIQ+ en Église et en dehors. « Mon projet consiste notamment à organiser des rencontres pour partager et mieux se connaître les unes les autres » Il s’agit également pour lui d’aller au-devant des besoins des personnes LGBTIQ+. En attendant, après des études en psychologie et en sciences sociales, le voilà avec plaisir en seconde année du Séminaire de culture théologique.