Le 15 octobre s’est tenu la rencontre « Dans le Souffle de l’Esprit » à Crêt-Bérard. Cet article en résume les éléments principaux et le déroulement.

L’accueil se veut simple et chaleureux en ce samedi matin d’octobre. Le café et les croissants attendent la quelque cinquantaine de participants à cette journée autour de la spiritualité à Crêt-Bérard.

Déroulement de la matinée

Amazonian Cosmos

Sous les auspices du groupe Pertinence et de la SVTH, Jean-François Habermacher, théologien, introduit la visualisation d’un premier documentaire, base de réflexion pour la suite de la journée : Amazonian Cosmos (2019), du réalisateur suisse Daniel Schweizer. Le film suit les traces d’un chaman brésilien, qui est convaincu que les leaders spirituels du monde doivent s’unir pour empêcher la chute imminente du Ciel.

S’appuyant sur les travaux de plusieurs ethnologues, Jean-François estime que le chamanisme n’est pas une religion au sens d’une doctrine élaborée à laquelle il s’agirait d’adhérer et qu’il faudrait transmettre, mais une « cosmo-vision » consciente des forces régissant l’univers et qui met en place un certain nombre de pratiques pour attirer la faveur des esprits, en vue de rétablir l’ordre altéré du monde. Dans cette perspective, le chaman n’est ni un guérisseur, ni un prêtre, ni un magicien, mais un homme qui permet le contact avec des dimensions non accessibles usuellement et entre en relation avec les esprits et entités alliés responsables du maintient de l’harmonie du monde.

Dans ce documentaire, le chaman Jaider est envoyé par son peuple dans le monde moderne, d’abord au Brésil. Le choc est considérable puisqu’il a tôt fait de relever : « la vitesse est si constante, comment rendre possible une rencontre ? », puis : « le silence n’existe plus pour écouter ». La suite du film nous expose à l’authenticité de l’approche de Jaider et de sa tradition, son attention à autrui et à son environnement, ainsi que le cri de son peuple, comme un slogan qui nous interpelle : « les chamans sont fatigués de porter le ciel ».

Après cette première étape nourrissant la réflexion des personnes présentes, la maison hôte met en place un espace de pause, avec notamment des fruits et des jus, permettant les premiers échanges spontanés entre les participants, dans des gestes d’intimité et de confiance.

Hauterive

Le second documentaire, « À quelques pas de l’infini. Les moins paysans de l’Abbaye d’Hauterive », issu de l’émission « Passe-moi les jumelles » et diffusé sur la RTS en 2021, amène le groupe des participants à suivre quelques-uns des frères-moines, au fil de leurs journées, de leurs travaux et de leurs questionnements. Au même titre que dans le documentaire précédent, il y est question de regarder vraiment, ou autrement, comme le frère qui utilise les rebuts de bois, ceux que l’on jette généralement au feu, pour en faire des œuvres travaillées, utiles à la cuisine ou à la décoration, offrant à ces derniers un ultime rachat.

Bilan intermédiaire

Peu avant le repas de midi, l’équipe de conduite, travaillant systématiquement de concert, désigne Jean-Patrice Cornaz pour faire une synthèse des éléments qui semblent symptomatiques de la spiritualité évoquée dans les deux œuvres cinématographiques, celui-ci conduisant les participants à exprimer ce qui les a marqués positivement. En voici une courte liste illustrative :

  • Prendre le temps de regarder
  • Besoin du silence
  • Une fragilité à préserver
  • Lien avec la terre / la nature
  • Quête du Beau
  • Pas de séparation haut/bas ni dedans/dehors
  • Structuration de l’espace
  • Simplicité / humanité / humilité

Le repas, magnifique, servi en buffet, permet d’approfondir en petit comité comment les autres participants perçoivent ce qui est dit, comment ils interprètent les données présentées, et de favoriser ainsi une mise en commun, un partage.

Déroulement de l’après-midi

L’après-midi donne à plusieurs intervenants la possibilité d’amener une contribution personnelle un peu plus fournie, dans des présentations synthétiques d’une quinzaine de minutes. Ce temps est facilité par Béatrice Perregaux Allisson, formatrice, qui introduira plus tard le temps d’échange avec les intervenants par un court temps de silence, où elle encouragera également chacun.e à percevoir le souffle dans son corps.

Entre centration et décentrement

Jean-Patrice Cornaz se réfère à l’auteur Gilles Bourquin pour faire ressortir la dynamique propre à la spiritualité, terme pas nécessairement pas plus clair que celui de religion, qu’il voit comme un mouvement double entre centration et décentrement, dans lequel l’individu effectue à la fois un retour à lui-même, où il découvre notamment des dimensions intérieures insoupçonnées mais également où il se décale de lui-même, mettant sa conscience de côté, sa personne propre, pour laisser la place à une forme d’altérité fécondante. Il termine son propos citant la Prière à L’Esprit Saint de la tradition orthodoxe, vue ici comme une synthèse illustratrice et en résonnance avec notre contexte : « Roi du ciel consolateur, esprit de vérité partout présent et qui remplit tout, trésor des biens et donateur de vie, viens, fais ta demeure en nous, purifie-nous de toute souillure, et sauve nos âmes, car tu es bon et ami des humains ».

Ouverture sur l’autre

Pour Jean-François Habermacher, le dialogue entre traditions est essentiel à la vérité, puisque celle-ci tient par le partage. Pour lui, aucune religion n’a les droits d’accès au divin (A. Heschel, Aucun religion n’est une île). S’il devait essayer de décrire en quoi consiste l’expérience de l’Esprit, il dirait qu’il s’agit de faire l’expérience d’une conviction intime au-delà des paroles, où, à un moment, l’existence se clarifie, se simplifie. Cette expérience offre l’accord avec nous-même et autrui, comme si les morceaux éclatés du monde se rassemblaient, ce qui ferait dire à l’individu quelque chose comme : L’éternel est mon berger, je ne manquerai de rien (Ps 23,1).

Pas d’Esprit sans le Christ

Pierre Gisel, chargé d’apporter un éclairage sur la thématique « Comment l’Esprit agit dans l’Église et dans le monde », recadre le questionnement sur le fait que l’Église n’est pas séparée du monde, elle propose une manière de mettre en œuvre l’humain et le rapport au monde. Pour lui, citant Jn 16,7 (« Il est avantageux pour vous que je m’en aille ; vous ferez les mêmes œuvres que moi et même de plus grandes »), ce qui préside au développement de la foi dans le christianisme est la polarité Christ-Esprit, dans laquelle L’Esprit est celui qui fait que quelque chose de la figure centrale du Christ peut être repris et intériorisé.

Perspective trinitaire

Pour conclure cette partie dense de la journée, Emmanuelle Jacquat était chargée de donner un éclairage et un écho aux présentations depuis un point de vue pastoral, issu du terrain. Ce qui, pour elle, nourrit le lien avec la spiritualité, c’est l’orientation sur les autres que celle-ci permet. Il lui apparaît que la notion trinitaire aide l’individu en recherche : il est possible de se tourner vers le parent (Le Père), vers le frère et la sœur (Le Fils) et de se tourner vers l’Esprit, qui pousse en avant, qui nourrit et qui est présent dans la nature (à témoin, les images bibliques de feu, de vent, de colombe).

Echanges conclusifs

Pour conclure cette riche journée, un temps d’échange avec les intervenants a permis aux participants de poser leurs questions ou de faire leurs propres remarques. Une question a notamment soulevé le fait de savoir s’il convient de privilégier son identité propre ou d’adopter une autre forme spirituelle ? Pour Pierre Gisel, une fécondité réciproque peut naître de la rencontre ouverte, où chacun reste lui-même. Selon Jean-François Habermacher, nos propres racines ne sont jamais claires au moment de la rencontre, c’est plutôt celle-ci qui permet la prise de conscience. Une ultime remarque a relevé que la journée était très riche, mais qu’une orientation sur la mise en pratique aurait été bienvenue, pour que les différentes dimensions de la personne soient également nourries. 


Antoine Baer est un laïc qui habite à la vallée de Joux. Après des études en Lettres et Sciences Humaines à l’université de Neuchâtel, il travaille comme animateur-jeunesse au sein des GBEU, puis comme chargé de marketing pour l’organisation humanitaire Medair. Il est actuellement engagé au sein de l’association WiGii.org comme artisan développeur pour la reconnexion à soi et au tout, en utilisant notamment les productions artistiques, le coaching, l’écriture et la musique.