Dans un précédent article j’en ai exposé quelques caractéristiques de la théologie rayonnante. Elle a le niveau de la théologie savante. Mais théologie savante et théologie rayonnante correspondent à deux dynamiques différentes.
Il n’y a aucune raison pour que les gens aient besoin de coller aux recherches théologiques. Notre société a le droit d’être mise en présence d’une offre de savoirs spirituels élaborée pour elle. Cette recherche, quoiqu’indépendante de la théologie universitaire n’en débouche pas moins sur un authentique savoir à la mesure de notre société.
Il existe plusieurs modes d’existence sociale du savoir
La théologie savante s’élabore dans les universités. Elle est diffusée dans les revues spécialisées ou lors de congrès. Elle doit développer et produire sans cesse de nouveaux savoirs. Cette recherche n’a pas à se préoccuper de la manière dont son discours sera perçu par la population. C’est la matière qui croît, la dynamique est du côté du contenu.
La théologie rayonnante s’élabore dans la pastorale. Elle se communique essentiellement dans les médias mais doit aussi venir en aide à la pastorale locale. Elle n’a pas pour fonction de croître. Elle permet le développement de la connaissance des individus. La dynamique est du côté du récepteur. Ici, la méthode se base sur la hiérarchisation des savoirs existants et non sur l’augmentation des savoirs. Par contre la théologie rayonnante doit se transformer au fil des décennies pour rester fidèle à sa mission.
La théologie rayonnante choisit, parmi la masse encyclopédique des sciences de références, ce qui peut nourrir la spiritualité de nos contemporains. Le processus de communication c’est l’interaction d’un texte de savoir et de moyens de communication. Il s’agit de hiérarchiser les différents contenus pour sélectionner ceux à présenter dans les médias à disposition.
Le savant agit sur le savoir, le vulgarisateur agit sur la population. La position de la pastorale contraste avec celle de la théologie. La pastorale a le souci du destin de son message. La prise en compte du destinataire fait partie de son contrat professionnel.
Contraintes pour la théologie rayonnante
Nous l’avons déjà dit dans notre article « Elaborer une théologie rayonnante », la première contrainte consiste dans le choix des domaines à étudier. Ils doivent correspondre aux besoins spirituels de la population. Sur ce point, les habitants du canton de Vaud font partie des sociétés les plus avancées du monde. La Suisse en général et le canton de Vaud en particulier, font partie des sociétés dites post-modernes. Les besoins spirituels des vaudois sont fort éloignés de ceux des sociétés traditionnelles. La théologie rayonnante s’en trouve confrontée à une immense nécessité d’invention.
Dans ces sociétés, les valeurs se diffusent au moyen des outils actuels de communication, c’est-à-dire le numérique. La théologie rayonnante se diffuse par les médias, en particulier les médias numériques jugés souvent assez crédibles par bon nombre de gens. Cela oblige à respecter les critères de la communication contemporaine : concision, rythme, diversité.
La théologie rayonnante doit relever un double défi. Ses références doivent être davantage copieuses pour chaque sujet que ne le sont celles de la théologie universitaire. En effet, elle doit décliner le savoir dans plusieurs domaines différents. Elle fera appel, en même temps à l’exégèse, la psychologie, la musique, la littérature et à bien d’autres sciences encore. Par contre son mode d’expression sera très bref. En effet nous sommes dans l’interaction entre un texte de savoir (long) et un temps de diffusion (bref).
Exemples de transformations techniques
La théologie rayonnante ne peut ni utiliser le vocabulaire universitaire ni celui du passé. Les transformations terminologiques sont indispensables. Les transpositions terminologiques sont fondées sur le souci légitime de remplacer un terme technique, réservé au spécialiste, par un mot courant, adapté au destinataire. La réussite de la communication est à ce prix. Mais la menace d’une perte de substance sémantique pèse sur l’entreprise. La théologie rayonnante doit prendre ce risque mais de manière érudite.
Prenons l’exemple du mot « publicain » traduit de différentes manières, comme par exemple « collecteur de taxes ». Sur le plan lexical, il n’y a rien à redire. Il s’agit bien des personnes devant collecter des taxes. Ces gens n’étaient pas appréciés. Ceux et celles d’entre nous qui n’aiment pas payer des impôts le comprennent aisément. Sauf qu’il y a là un contre sens notoire. Quel que soit ce que nous pensons de l’administration fiscale, cela n’a rien à voir avec ce que ressentaient les juifs de ce temps.
Si nous expliquons la différence, nous mangeons le bref temps de diffusion dont nous disposons. Mais cela est-il important pour nourrir la spiritualité de nos contemporains ? Au 21e siècle, il faut aller directement à l’essentiel. Nos publicains étaient détestés car ils utilisaient des méthodes mafieuses. Alors il me semble préférable d’utiliser la traduction « maffieux ». Le linguiste s’insurgera, l’historien dénoncera l’anachronisme mais la population comprendra les enjeux des récits citant les publicains. La traduction maffieux n’est pas lexicale mais elle suscite, dans les esprits de notre temps le même émoi qu’au temps de Jésus. Elle est donc exacte si l’on se place dans l’esprit de ceux et celles qui l’entendent.
La transposition d’un texte originaire vers un texte dérivé pose des problèmes particuliers. Dans certaines sciences, dont la théologie, la transposition concerne surtout des textes. Il s’agit d’un véritable travail de réécriture puisque la transposition peut prendre la forme d’une traduction, d’une anthologie, d’un résumé, comporter des illustrations ou des gloses didactiques, voir même une paraphrase.
Les textes scientifiques et les textes didactiques présentent, les uns et les autres, des aspects figuratifs((Exemples pour appuyer une proposition générale)) et des illustrations graphiques. Le figuratif englobe l’iconique mais il ne s’y réduit pas. Dans le texte scientifique, tout se joue dans la démarche raisonnée, le figuratif vient en appendice. Il n’est pas indispensable. En théologie rayonnante, le figuratif occupe au contraire une place centrale.
Conclusion : une théologie qui aide à vivre
Les esprits de notre temps abordent le religieux avec une affectivité exacerbée, avec une confiance trop béate ou des soupçons injustifiés. De plus la spiritualité n’est pas d’abord une affaire de savoir. Il s’agit d’un pari existentiel sur le sens de l’existence. La science interroge sans cesse l’univers. Mais il ne nous renseigne pas sur les questions ultimes. Il nous faut par conséquent raisonner l’inconnu. Et cet incertain doit nous aider à vivre. La communication autour de ces questions n’est guère aisée et ici la science universitaire ne nous secours guère. Elle a certes toute sa légitimité mais il nous faut reprendre à frais nouveau une recherche d’un niveau scientifique mais consciente des enjeux de la communication de notre époque.
Claude Demissy a étudié la théologie à Strasbourg où il a soutenu une thèse de doctorat Ruse et violence dans le livre de Judith. Il a été pasteur à Metz et à Strasbourg puis à Aubonne. Durant son ministère il a pu se former à la communication, à l’édition et à la pédagogie. Cela lui permet de développer une théologie du bonheur adaptée à notre société post-moderne. Il souhaite libérer la théologie protestante de l’emprise de sa tradition inadaptée au 21e siècle. Il a publié aux éditions cabédita et Dieu créa le bonheur (2020), Marie-Madeleine, la première chrétienne (2022), et travaille (pour 2023), sur l’importance de la gastronomie dans la Bible.
J’ai lu. L’idée de travailler sur l’expression d’une théologie qui se partage est sympa. Continuez. Mais je n’aurais pas choisi comme ex. d’illustration le publicain. La référence à la mafia n’aide pas davantage…
Merci cher Marc pour ce retour. Je pars d’un article que j’ai publié dans la Revue de Théologie et de Philosophie de Lausanne il y a une vingtaine d’année. Il contenait, entre autre, une réflexion sur les transformations nécessaires pour la diffusion des textes ( à l’époque c’était dans le domaine de la pédagogie).
L’illustration du Publicain n’y figurait pas. Mais ayant depuis discuté avec bon nombre de paroissiens, j’ai remarqué que la traduction « collecteur d’impôt » était tout simplement un désastre.
Mais vous avez raison, il y a sans nul doute une infinité d’exemples autres. Merci d’en proposer, car pour développer la théologie rayonnante, il faut offrir sans cesse des théories à la réfutation.