Le comité de la Société Vaudoise de Théologie travaille depuis janvier 2021 en “gouvernance partagée”. Plus que de simples outils, il s’agit d’un changement de rapport à soi, à ses collaborateurs, et à notre compréhension du pouvoir. Le comité, qui expérimente cette forme de gouvernance depuis quelques mois, a souhaité faire profiter de certaines découvertes pratiques et réflexions fondamentales à l’ensemble de la société.

La soirée Gouverner dans l’Esprit a été organisée à la suite de l’AG de la SVTh le 7 octobre 2021. Animée par Elio Jaillet et Étienne Guilloud, était divisée en trois temps:

  1. Un input psychologique sur la spirale dynamique
  2. Une exemplification pratique
  3. Une impulsion théologique suivie d’une discussion

1. La spirale dynamique

La spirale dynamique, basée sur les travaux de Claire W. Graves, propose un schéma d’évolution par stades de niveaux d’existences, compris comme une façon de voir le monde en réponse à des conditions de vie dans un environnement particulier. Chacun de ces stades de conscience a un impact sur le type de gouvernance qui sera privilégié.

Spirale dynamique, CC-BY-SA Matthieu Van Niel

En bref, les stades sont les suivants.

  1. Survie (beige): la pulsion instinctive de survie dans un environnement hostile. La gouvernance se résume à faire le nécessaire pour rester en vie.
  2. Sécurité (violet): ordre tribal dans la sécurité collective au sein d’un environnement hostile. La gouvernance vise à privilégier la mémoire collective, par le respect des traditions et coutumes.
  3. Pouvoir et luttes (rouge): dans un environnement où le plus fort gagne et donc les volontés s’affrontent, la gouvernance se résume à l’obéissance au chef.
  4. Ordre (bleu): vérité absolue construite sur une pensée cohérente où chaque chose a sa place et doit y rester. La gouvernance est hiérarchique et autoritaire.
  5. Réussite (orange): le monde est vu comme un vaste terrain d’opportunités, où chacun·e peut tenter de prospérer et de se réaliser. La gouvernance est faite de compétition et d’alliances à intérêts communs (contrats).
  6. Harmonie (vert): recherche l’accomplissement personnel par l’intégration au groupe, l’empathie et la coopération. La gouvernance valorise la responsabilité et le consensus.
  7. Individuation (jaune): le monde est vu comme un système dynamique complexe, on y recherche l’affirmation de soi sans que ce soit au dépend des autres. La gouvernance est agile et par consentement.
  8. Vision globale (turquoise): avec une conscience planétaire, la vie est perçue comme interconnexion et interdépendance.

Les stades alternent entre une priorité donnée à l’individu (à droite dans la spirale, impair dans la liste ci-dessus), ou à la mise de côté du soi au bénéfice du groupe (gauche, pair).

Pour illustrer cela, Étienne nous propose un bref panorama de l’histoire de l’Église lue à travers ces différents niveaux.

Il n’y a pas de connotations morales à ces niveaux. Chacun à ses richesses, limites, et points d’attention. Et les choses ne sont pas figées, mais sont en mouvement, dynamiques, en tensions entre différents stades.

Le but de la gouvernance partagée et de nous encourager à avancer plus haut dans la spirale, en offrant des outils, des méthodologies et manières de penser.

Après cet exposé, les participant·e·s furent invités à noter sur des post-its des expériences de gouvernances vécues, en les rattachant à telle ou telle couleur de la spirale. En réfléchissant notamment aux blessures vécues, qui révèlent les limites d’un stade.

Dans la discussion qui s’ensuivit, plusieurs participant·e·s relevèrent que ce modèle éclaire leurs expériences de gouvernance. Cela même si, comme tout modèle, il présente le risque de faire abstraction du réel — défini comme “ce qui résiste” dans nos réalités propres.

2. Exemplification pratique

Dans la deuxième partie, nous avons été invités à découvrir la gouvernance partagée par l’exemple. En effet, c’est dans l’expérimentation de ses méthodes que l’on peut en percevoir le potentiel.

Pour ce faire, des bénévoles se sont joint à Etienne et Elio pour jouer une rencontre du comité de la SVTh. Le but de cette rencontre: organiser une conférence. Nous arrivons en fin de conférence, alors que le gros du travail a été fait.

La scène est jouée deux fois. Une fois de manière “classique”, et une fois en gouvernance partagée. Les participant·e·s sont invité·e·s à noter leurs observations, le regard conduit par une grille d’observation de la praxéologie théologique:

Mes projections:

  • Comment une séance de préparation devrait se dérouler?
  • Quels sont mes a priori sur ces séances?

Observation de la pratique:

  • Qui participe?
  • Qu’est-ce qui se passe?
  • Comment cette séance se déroule-t-elle?
  • Quels sont les sens stimulés?
  • Quels sont les buts visés?

Valeurs:

  • Quelles sont les valeurs portées?
  • Quelle image de soi est exprimée par les participant·e·s?
  • Quelle image de Dieu est exprimée par cette séance?

Premier scénario

La première séance est chaotique. Un membre du comité soulève une considération pratique, ce qui suscite une série de réactions en chaînes chez les membres du comité: explosion émotionnelle, réflexion d’éthique fondamentale, élan d’enthousiasme, autre question pratique, etc.

Les observateurices relèves les points suivant:

  • Peu d’écoute, chacun·e amène des choses qui lui semblent importantes
  • Aucun point soulevé n’est traité jusqu’au bout
  • On sent beaucoup de frustrations
  • Les niveaux sont mélangés: pratiques, réflexions fondamentales, etc.
  • Le chaos favorise la prise de pouvoir

Quelles sont les compétences attendues?

  • Écoute
  • Ordre du jour et présidence claire
  • Spontanéité

Où est-ce que ça se situe sur la spirale? Probablement quelque part entre pouvoir et ordre.

Second scénario

Même situation, mais cette fois-ci le comité utilise des outils de la gouvernance partagée. La discussion se déroule alors comme ceci:

  • Un membre du comité soulève une considération pratique
  • Le facilitateur invite immédiatement le membre qui s’est exprimé à formuler une première proposition qui répondrait à sa préoccupation.
  • Le facilitateur invite ensuite à un tour de clarification, ou tous les membres peuvent poser des questions de compréhension du problème et de la proposition.
  • Suit un tour de réactions et remarques à chaud, complètement libre.
  • La proposition est ensuite reformulée pour intégrer divers éléments de la discussion.
  • Finalement, est posée la question: “est-ce qu’il y a des objections?”

Les observateurices relèves les points suivant:

  • La présidence qui mène à la recherche d’une décision
  • Il y a une volonté de tenir compte des réactions des gens

Quelles sont les compétences attendues?

  • Différenciation des niveaux de discussion
  • Clarification des rôles et autonomisation des membres du groupe

Où on se situe dans la spirale? Probablement jaune, à tendance turquoise.

Quelques outils de gouvernance partagées

Quelques outils sont présentés:

Les chapeaux de Bono: une manière de distinguer les niveaux de discussions, en les associant à un chapeau de couleur: blanc (faits), rouge (émotion), jaune (enthousiasme), noir (critique), blanc (faits), bleu (ordre), vert (nouveauté).

La gestion par consentement (la méthodologie de discussion utilisée dans le deuxième scénario). Fonctionne selon la trame: quelqu’un relève une tension ⇒ proposition (par le proposant) ⇒ clarification (par le cercle) ⇒ réaction (cercle) ⇒ amendement de la proposition (proposant, souverain: ce n’est pas les autres qui lui disent quoi faire) ⇒ objection (cercle, une à une) ⇒ résolution de l’objection ⇒ si plus d’objection, la proposition est acceptée ⇒ célébration (cercle).

Gestion par rôle: vise à favoriser l’autonomie, en répartissant clairement les rôles, et en délimitant leur champ d’action. Une personne ou un groupe qui “énergise” un rôle peut prendre des décisions souverainement, sans même avoir besoin de l’amener en séance.

Logique de petit pas: on cherche à éviter de se demander: “est-ce que tout est parfait et idéal?”, mais plutôt: “est-ce qu’on est en mouvement?” Le but n’est pas de voir l’entier du chemin avant d’avancer, mais de faire juste le pas suivant. Et si à un moment on réalise que l’on fait fausse route, on apprend et on corrige le tir.

3. Impulsion et discussion théologiques

La troisième partie s’est déroulée dans les canapés, pour se laisser nourrir d’impulsions théologiques sur la gouvernance, proposées par Elio, et engager une conversation. On retrouve trouve ces propositions détaillées sur le blog d’Elio.

La gouvernance est définie comme l’ensemble des processus qui débouchent sur une action coordonnée entre plusieurs personnes. Elle est généralement un lieu de frustration.

La christologie propose une gouvernance modèle, idéalisée:

  • Dieu seul gouverne bien
  • On ne peut pas se prendre soi-même comme échelon de mesure
  • Jésus nous révèle comment Dieu gouverne, et la place qu’on peut y prendre: servir, renoncer à posséder le pouvoir, aimer Dieu et son prochain, répondre à l’appel de Dieu, porter la bonne nouvelle dans le monde.

Notre tâche est donc d’apprendre la gouvernance dans la présence de l’Esprit du Christ:

  • Elle est forcément collective, parce que Dieu seul gouverne
  • Les rôles ont une valeur temporaire, et ne confèrent pas de dignité. Il y a distinction entre la fonction et l’identité.
  • Un discernement sur l’adéquation entre la vocation personnelle et le rôle que j’habite est nécessaire.

Ces considérations ne nous permettront toutefois pas de trancher entre les multiples modèles de gouvernances sur le marché. Comment choisir? Elio propose comme méthode de démarcation de s’imaginer préparer une Sainte-Cène sous le mode de gouvernance en question. Ou de ne pas s’imaginer, mais le faire réellement, pour voir ce que ça donne.

S’ensuit alors un échange sur le pouvoir, la volonté de puissance, la non-puissance, l’autorité. Sur comment l’on peut prendre le pouvoir tout en disant “nous sommes tous au service”: la gouvernance partagée, en poussant à clarifier les rôles, évite les slogans trop larges qui sont lieux d’abus de pouvoir. “En montant dans la spirale, on remet les pieds sur terre au niveau du langage.” Elle permet de mettre les paroles à l’épreuve de la réalité avec des outils d’analyse.

Références

A) La spirale dynamique

Voici l’illustration utilisée pour la spirale dynamique, ainsi qu’une seconde qui la complète sur les aspects liés à la gouvernance.

  • Le modèle de la spirale dynamique est tirée de l’ouvrage suivant : Don BECK, Christopher COWAN, Spiral Dynamics. Mastering Values, Leadership and Change, Blackwell, 2005. Le modèle de la spirale proposé par BECK et COWAN s’inspire des travaux du psychologue Clare Graves.
  • La page Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Graves%27s_emergent_cyclical_levels_of_existence propose une bonne discussion de ses thèses et de son approche empirique (Grounded Theory), ainsi que des réserves possibles à l’égard de ce modèle.
  • On peut consulter l’ouvrage posthume Clare W. GRAVES, The Never Ending quest, ECLET Publishing, 2005.

B) Gouvernance Partagée

Nous pouvons vous proposer ici deux documents pour approfondir les tenants et aboutissants de la « Gouvernance Partagée »:

C) Perspective théologienne sur la gouvernance

Les articles suivants d’Elio proposent des réflexions plus élaborées, ainsi qu’une série de références bibliographiques.

L’auteur

Olivier Keshavjee est pasteur dans l’EERV à Open Source Church (https://www.open-source.church/) et bloggeur sur www.theologeek.ch


Ce(tte) création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.