Cet article résume les interventions et discussion de la journée d’étude les pouvoirs du sacré. Pour chacune des conférences nous mettons l’audio complet à disposition, à la fin de chaque section.

Le sacré et son articulation

Lors de cette journée, le professeur Jean-Marc Tétaz a présenté les grandes lignes de la pensée de Hans Joas ; à savoir, la formation des valeurs et de la dimension sacrée des idéaux. Pour lui, Hans Joas n’est pas un sociologue de la religion, mais développe plutôt une théorie de « l’agir créateur » en accordant une importance à l’environnement avec lequel la créativité de l’Homme est liée et dans lequel elle trouve un lieu d’expression. Les valeurs émergent dans des expériences de la formation de soi et de l’auto-transcendance.  A notre époque, les humains se trouvent arrachés au-delà des limites de leur soi, et l’expérience auto-transcendante n’est pas forcément positive (violence subie ou produite). Or, selon Hans Joas, poursuit le professeur Tétaz, les expériences du sacré ne sont pas en soi religieuses. La sacralisation de la personne n’est pas la religion des droits de l’homme, et on doit tenir compte des ressources culturelles de chaque époque.

Captation audio de la conférence « Le sacré et son articulation »

Nommer la Puissance

Philippe Gonzalez, sociologue en Sciences sociales et politiques à Lausanne, a parlé autour du thème : Réflexions à l’épreuve de mobilisations politico-religieuses, en débat avec Hans Joas. Nommer la puissance, afin de montrer en quoi les propositions de Joas se révèlent parfois problématiques, notamment, pour prendre un exemple de terrain, dans les célébrations évangéliques où l’on assiste à une mobilisation politique conservatrice, sans qu’il existe réellement de rituel, mais plutôt la création de nouvelles « valeurs » auto-transcendantes fondées sur une ordre social calqué sur le modèle de Moïse au Sinaï. 

Ensuite, Philippe Gonzalez a évoqué la dynamogénique de la religion chez William James, psychologue sociologue des expériences individuelles ; chez Durkheim, qui parle de communauté électrisée par la dynamique de la foule ; et enfin, chez J. Royce, philosophe idéaliste, avec sa théorie relationnelle, intersubjective du soi. Pour finir par énumérer les trois dimensions de l’expérience religieuse, notamment dans l’anthropologie de Michel de Certeaux : Symbolisation – Émotion – Crédibilité de la parole reçue d’un autre (institution).

Lors de la discussion qui suit, Jean-Maris Tétaz fait remarquer que H. Joas est un catholique engagé, membre du mouvement synodal à Francfort. Philippe Gonzalez répond qu’on assiste à une saturation du sacré dans les milieux conservateurs. Ce à quoi Jean-Marc Tétaz ajoute que la « transcendance » n’est pas d’abord religieuse (cf. Platon), mais une dépossession ou un dépassement de soi.

Captation audio de la conférence « Nommer la puissance »

L’âge axial

L’après-midi, le professeur de Fribourg, Helmut Zander, intervient sur « L’âge axial dans la pensée de Hans Joas. » en relevant quatre tendances dans l’œuvre de Joas : permettre un discours rationnel ; créer une alternative contre la théorie du désenchantement chez Max Weber; parler d’auto-transcendance ; et donner finalement une définition relativement étroite de la religion (fondée sur l’expérience).

Selon Helmut Zander, il faut tenir compte des contingences biographiques de H. Joas, qui déclare que les gens ont de nos jours le « sentiment d’être déchirés au-delà d’eux-mêmes ». 

Par ailleurs, Monsieur Zander relève deux problèmes systématiques dans la pensée de H. Joas : la corrélation et la causalité ne sont pas forcément liées. Les différentes cultures de la période axiale ont été inventées au XIXe s. Par conséquent, elles ne doivent pas être prises en compte dans l’histoire globale de l’humanité. Et de conclure que la période axiale ne peut être fixée ; par manque de sources historiques, une dimension psychologique et historique combinée par Joas, le problème posé d’une relation entre pragmatisme et phénoménologie, sans argumentation théologique, de toute façon refusée par Joas.

Captation audio de la conférence « L’Âge axial »

La consistance de l’histoire

A 15h, Sarah Sholl, historienne à l’UNIGE, spécialiste de l’histoire religieuse aux XIXe-XXe siècles, intervient sur le thème : La consistance de l’histoire. Vers un récit des sécularisateurs et de leurs raisons.

La question posée est de savoir si les XVIIIe-XIXe s. n’ont pas constitué un autre âge axial.

La mise en cause du désenchantement weberien amène à la construction de généalogies centrées sur la persistance du sacré, et l’expérience religieuse chez l’individu dans nos sociétés. D’où un retour du christianisme à l’époque moderne. Le sacré chez Joas pose le problème de l’expérience religieuse qui invisibilise ce qu’a été la religion dans notre histoire. 

Quels ont été, alors, les éléments éliminés de la vie chrétienne dans notre société ? On peut trouver deux mouvements pour expliquer la sécularisation : une mutation interne au christianisme ; et une rationalisation économique, scientifique. Mais, selon Sarah Scholl, la sécularisation est un mouvement contre le christianisme, avec le rejet du pouvoir des églises sur des pans entiers de la vie sociale et politique. 

Comme exemple, on peut s’appuyer sur les travaux historiques de la sécularisation. Notamment à travers l’évolution de l’école qui était devenue le lieu privilégié de la transmission religieuse en Suisse à partir du XVIe s. Sous l’influence des Lumières, certains pasteurs et hommes politiques vont demander le retrait de ces enseignements qu’ils jugent, selon le mot de Fr. César de la Harpe, comme constituant une « Instruction publique négligée, à cause de l’obéissance passive et l’accent mis sur le courroux de la divine autorité ; et qui mène à l’abrutissement des populations ! ». Selon eux, il est urgent de faire plutôt de l’instruction civique.

Cependant, il faut noter que les Protestants libéraux vaudois n’ont pas forcément la volonté de séculariser la société. Ils initient plutôt le mouvement fondateur de l’anti-cléricalisme au XIXe s. et font preuve d’initiatives désordonnées, qui s’attaquent à la chrétienté en tant que système politique établi. On assiste au même mouvement dans les années 1960-70.

Lors de la discussion, Jean-Marc Tétaz fait remarquer qu’on trouve différentes pratiques dans d’autres pays protestant et que malgré tout, il était resté à l’école l’étude de la culture grecque antique. 

M. Peter demande comment situer l’action d’Alexandre Vinet. Sarah Scholl répond que Vinet fut aussi un sécularisateur. ! Et conclut que la question à se poser est : Quelle alternative au christianisme total ?

Captation audio de la conférence « La consistance de l’histoire »

Les traditions religieuses au coeur du socioculturel

Pour terminer la journée, Pierre Gisel évoque Les traditions religieuses au cœur du socioculturel

Il soutient la pensée de Hans Joas sur ces différents points :

  • Une tradition religieuse n’est pas un ensemble forcément homogène ;
  • La religion n’est pas un espace propre ; 
  • Il existe bien des tensions qui traversent la vie sociale contemporaine ; 
  • Il faut reprendre la question des valeurs
  • Il existe des risques dans un Etat pluriel
  • La sécularisation n’est pas forcément à voir négativement : elle permet de la nouveauté et a pour effet la redistribution du champ social.
  • Les frontières du religieux sont poreuses. 
  • Les Eglises sont mises en cause et en délitement.
  • On assiste à la montée d’un individualisme de la « société liquide » ; avec une tendance à l’auto-affirmation.

Pierre Gisel relève cela dit plusieurs problèmes chez Hans Joas : son histoire du pouvoir présente une certaine focalisation sur le pouvoir du sacré, sachant que la question du pouvoir n’est pas forcément toujours ce qui pose problème. Le rapports entre le religieux et le social doit être pris en considération, parce que le religieux constitue une force de différence, il produit un écart, un décalement avec le monde, et avec soi.

Il convient donc de répondre d’une instance humaine religieuse, afin de donner corps à l’humain et de revoir les formes, les figures, la symbolique, les affirmations doctrinales et les statuts. Pour ce faire, le christianisme et le judaïsme pourraient unifier leur visée sociale.

Captation audio de la conférence « Les traditions religieuses au coeur du socioculturel »

Discussions de fin

Les discussions de fin de séance porteront sur le durcissement théologique et moral de certaines communautés religieuses, non intéressées par le dialogue interreligieux, ni par la problématique de sécularisation et de sacralisation telle que discutée aujourd’hui. Le danger du fondamentalisme est évoqué, ainsi que de sa diabolisation. 

Jean-Marc Tétaz conclut que la liberté religieuse est un point longuement travaillé par Hans Joas, en tant que matrice des droits de l’Homme. Certains y voient un libéralisme inconséquent.

Elio Jaillet demande comment il faut repenser les médiations religieuses ; si elle doivent être ouvertes sur la société ou seulement vécues en interne.

Pierre Gisel répond que cela doit être un travail à faire pour chacune des traditions que de médiatiser quelque chose de l’humain. Les traditions historiques, culturelles et religieuses doivent pouvoir garder leur espace propre.

M. Peter souligne de son côté que Hans Joas invite à honorer le cheminement personnel. Quel est en ce cas le rapport aux médiations ?

Jean-Marc Tétaz termine en rappelant qu’il faut distinguer le concept de base de l’expérience, et l’expérience personnelle ou collective, qui doit être articulée. Car la théorie du sacré de Joas repose sur l’expérience en soi. Les médiations sont les formes d’articulation permettant de les insérer dans des cadres donnés.

L’autrice

Isabelle Solari est éditrice et formatrice en Humanités.


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