Cet article résume les différentes interventions et discussion de la matinée L’espérance chrétienne face à la crise. La matinée s’est déroulée en trois temps : 

A) La présentation par Jean-Denis Kraege des thèses principales de son dernier ouvrage Crise et foi. Questions que la Covid-19 pose aux chrétiens

B) Deux interventions ont ensuite proposé un premier temps de réaction suite à la présentation de Jean-Denis Kraege, chacune partant d’un point de vue différent et intégrant d’autres éléments à la réflexion : 

Nina Jaillet a présenté comment la thématisation de la prière de plainte, thème de son mémoire de fin d’études en théologie, peut être intéressante et pertinente pour traiter du thème de la crise et de l’espérance chrétienne ; 

Anne Sandoz-Dutoit a présenté ses différentes réflexions suite à la lecture de l’ouvrage de Jean-Denis Kraege, à partir d’une perspective de « Théologie de la santé », en tant que membre du groupe ThéoSan, et intégrant les travaux du sociologue étasunien Aaron Antonovsky (salutogenèse) et du psychiatre autrichien Victor Frankl.

C) La matinée s’est conclue par un temps collaboratif de discussion entre intervenant·e·s et participant·e·s qui avait pour but de formuler quelques propositions répondant à la question « fil rouge » de la matinée : « Quelle(s) ressource(s) la foi chrétienne offre-t-elle face à la crise de la Covid-19 ? »

A Présentation et enjeux de l’ouvrage Crise et Foi – Jean-Denis Kraege

Bien que Crise et foi ait été rédigé durant la première vague de la pandémie, en avril-mai 2020, les différentes thèses et observations de l’ouvrage restent d’actualité car elles se basent non seulement sur les aléas quotidiens que nous fait vivre cette crise sanitaire, mais aussi et surtout sur le phénomène de la crise en tant que tel.

Quelle est la motivation derrière la rédaction de ce livre ? Il a semblé à Jean-Denis Kraege que l’Église manquait à l’appel quand il s’agissait de répondre aux différentes questions que les crises (exemplifiée par celle du COVID-19) nous posaient alors qu’elle a de nombreux éléments en main, notamment théologiques, pour répondre à ces questions – voilà le but de l’ouvrage. Travailler en Église la question de la crise permet pourtant de guider les individus à travers les catastrophes. Ce travail leur permettre de vivre le passage d’un premier état de stabilité bouleversé par la crise et par l’effondrement des habitudes qu’elle suscite à un nouvel état de stabilité, transformé par cette expérience de la crise.

Les manifestations de la crise

La présentation de cette matinée ne visait pas à retracer l’entièreté de la réflexion proposée dans ce livre, mais cherchait plutôt à faire ressortir plusieurs éléments pertinents pour le traitement du « fil rouge » de la matinée. Ainsi, trois questions existentielles semblent ressortir en temps de crise : 

  1. Quel est le sens de la vie ?
  2. Quelle vérité/authenticité/cohérence y a-t-il dans ma vie ?
  3. Quel sens prennent alors les termes tels que liberté et destinée ?

Ces différentes questions sont suscitées, tout d’abord, par l’angoisse de voir différents éléments de notre existence rentrer en conflit les uns avec les autres sans trouver de solution pour résoudre les tensions suscitées (dans le cas de la pandémie actuelle, la confrontation entre économie et santé) ; puis, par l’angoisse de se sentir incapables de se projeter dans son avenir à tous les niveaux (société, travail, personnel, planétaire, etc.).

Jean-Denis Kraege associe trois types de réactions à ces trois questions susmentionnées, qui sont symptomatiques de notre époque et société occidentale, basées sur le besoin de maîtrise : 

  1. Le besoin d’avoir des prévisions positives pour l’avenir
  2. Le scientisme et la recherche d’un coupable
  3. Se rassurer via des rites, tentative religieuse (« superstitieuse ») de maîtriser la situation.

Toutes ces réactions ne sont que des quêtes désespérées de maîtrise d’une situation qui ne peut fondamentalement pas être maîtrisée. L’échec de ces différentes tentatives ne mène au final qu’à une augmentation du sentiment d’angoisse et d’impuissance. 

Les réponses à la crise

Si la réponse ne réside pas dans la maîtrise, où peut-elle donc se trouver ?

Selon Jean-Denis Kraege, le christianisme vient mettre les choses à leur juste place : nous ne pouvons rien maîtriser car l’unique maître de la Création et de nos vies est Dieu. En effet, notre liberté d’action est elle-même un don que Dieu nous fait, qui implique la responsabilité de se mettre au service de Dieu, du prochain et de soi. Ainsi, même si nous ne maîtrisons rien, nous pouvons néanmoins agir librement et de manière responsable lorsque nous traversons une crise : nous n’avons pas à être tétanisé·e·s par l’angoisse de l’impuissance et de la non-maîtrise, car Dieu nous rend libres d’agir.

Dans la crise, au lieu de vouloir le maîtriser, nous pouvons résister au mal dans nos vies et dans celle des autres, nous pouvons le combattre aux côtés de Dieu, car en nous libérant, Il nous en a rendu·e·s capables ! Le christianisme incarne, dans son histoire et dans ses enseignements, ce que Jean-Denis Kraege a nommé, durant sa présentation, une « crise positive », qui vient remettre en question nos convictions précédentes pour venir leur donner un sens et un horizon nouveaux.

Par conséquent, il y a plusieurs actions solidaires et responsables que nous pouvons et devons mener dans la crise sanitaire que nous traversons. Crise et foi en présente un certain nombre, en explicitant les fondements théologiques, bibliques et éthiques de chacune d’entre elles.

B (i) Échos à l’ouvrage – Nina Jaillet

La présentation de Nina Jaillet visait à présenter plusieurs enjeux théologiques et pratiques que soulèvent ses recherches pour son mémoire de maîtrise en Théologie Pratique à l’UniL et de les mettre en lien avec les différentes thèses présentées dans Crise et foi. Son mémoire traite des enjeux d’une réflexion autour des pratiques et discours de plainte en théologie réformée. Elle tente d’élaborer plusieurs pistes pour les (ré)intégrer dans les rituels réformés à travers une « liturgie de plainte ». En réponse à la lecture de l’ouvrage de Jean-Denis Kraege, l’intervention de Nina Jaillet a articulé les différentes réflexions de son mémoire autour du rapport entre la plainte et la crise puis a montré comment la plainte peut compter parmi les ressources de la foi chrétienne pour susciter l’espérance face à la crise (du COVID-19).

Hypothèses principales

Le mémoire s’attèle à discuter et confirmer deux hypothèses :

(a) contrairement à une société occidentale qui met de côté la plainte (résultat d’une philosophie stoïcienne, d’une société triomphaliste et d’un christianisme qui souhaite à tout prix « préserver » Dieu de toute accusation), il est bon et nécessaire de se plaindre à Dieu, dans un cadre individuel et communautaire 

(b) de ce fait, il est important que la plainte puisse avoir sa juste et bonne place dans la liturgie chrétienne (et réformée) du culte, où elle participe du mouvement de Dieu en direction de l’humain et de l’humain vers Dieu, sans être contagieuse ni étouffée ni isolée. La « plainte » y est définie comme « l’expression par un individu ou par un groupe d’une souffrance physique, psychique, sociale, discriminatoire, subie ou simplement ressentie ».

Crise et plainte

À la lumière des considérations de Crise et foi, la plainte pourrait également se comprendre ainsi : elle est la verbalisation de la prise de conscience que j’atteins la limite de mes propres ressources et de la prise de conscience de l’illusion de ma maîtrise. Elle formule l’angoisse de cette prise de conscience et le souci de l’individu pour son propre avenir mais aussi pour sa situation présente, empreinte de vulnérabilité.

Ce langage de la plainte s’inscrit toujours dans le cadre d’une relation. Dans le cadre chrétien, il s’agit de la relation de confiance entre Dieu et l’humanité. En régime chrétien, la plainte est donc toujours prière et n’existe pas par elle-même ; elle s’inscrit dans toute une dynamique et un cheminement que la crise nous fait traverser.

Les thèses principales de l’intervention étaient les suivantes :

(i) dans les situations de crise, la plainte fait forcément surface ; elle se fait la voix de notre angoisse face à la perte de nos repères et de nos illusions (crise). Partant de ce constat, il ne faudrait pas toutefois en rester là dans notre compréhension et gestion de la plainte. En effet, cette dernière est, en fait, une très grande ressource de la spiritualité chrétienne (présente dans tout le corpus biblique).

(ii) la plainte peut amener à exprimer notre confiance en Dieu et à initier un mouvement d’espérance en nous et autour de nous ; elle nous permet de mettre des mots sur le combat que l’on mène avec Dieu contre le mal, en plus d’initier ce combat de notre côté ; elle peut nous faire avancer dans notre relation à Dieu et porter de nombreux fruits si elle est correctement entendue, accueillie et reçue par l’individu lui-même mais aussi par la communauté humaine.

Vous pouvez télécharger la présentation power point de Nina Jaillet : Sous la perspective de la plaine.

B (Ii) Échos à l’ouvrage – Anne Sandoz Dutoit

À la suite de sa lecture de Crise et foi, Anne Sandoz Dutoit a été particulièrement frappée par le changement de regard que l’auteur propose d’adopter à l’occasion de la pandémie, en s’appuyant sur les ressources chrétiennes : il s’agit de changer le regard que je porte sur Dieu, sur moi-même, sur les autres et sur le rapport à ces trois « dimensions ». Le christianisme nous pousse également à interroger notre implication dans ce monde (lien entre liberté et responsabilité) ; il nous incite à faire face avec courage et lucidité aux démons (détaillés dans Crise et foi) que fait surgir la crise. 

Ainsi, notre manière de nous confronter aux crises que nous traversons est intimement liée à notre manière de percevoir et de comprendre le monde. Intervenant pour le groupe ThéoSan, Anne Sandoz Dutoit propose de mettre en dialogue l’approche de Jean-Denis Kraege avec celle du sociologue médical étasunien Aaron Antonovsky (salutogenèse) (1923-1994) et du psychiatre autrichien Victor Frankl (anthropologie de l’humain comme être de sens) (1905-1997). Les recherches en théologie de la santé doivent en effet beaucoup à ces deux spécialistes.

salutogénèse et confiance en Dieu

La contribution d’Aaron Antonovsky fut importante pour l’approche médicale, puisqu’il propose de ne plus se fixer uniquement sur les causes et les symptômes des maladies (pathogenèse), mais de plutôt se concentrer sur les éléments qui favorisent la santé de l’individu, comme de la société, aux niveaux physique, mental, social, etc. (salutogenèse). Cette perspective a pour socle la notion de cohérence, comprise comme la confiance que je peux (a) comprendre ce qui m’arrive, (b) disposer des ressources pour faire face, (c) donner du sens. 

Anne Sandoz Dutoit propose de relire ce modèle à travers le principe de confiance en Dieu qui donne la cohérence : à partir de notre confiance en Dieu, nous allons pouvoir relire la situation et nous engager à notre mesure dans le combat contre les forces de destruction et de désespoir qui risqueraient de nous anéantir. Il importe de laisser la maîtrise à Dieu en lui faisait pleinement confiance en tant que Seigneur et Créateur de toute vie, dont la nôtre. C’est cette confiance qui nous permet de donner une cohérence à notre vie. Le christianisme est une ressource qui permet de donner du sens à ce que nous traversons au sein-même de et à travers la crise, ce qui est fortificateur, donc porteur de santé.

Le rôle anthropologique du « sens »

Ce dont nous pouvons nous inspirer pour la thématique de la crise auprès de Victor Frankl est sa manière de comprendre l’être-humain : ce qui guide la vie de l’être-humain est un besoin profond et spirituel de donner du sens à son existence. A partir de ce postulat, Viktor Frankl a développé une approche thérapeutique appelée logothérapie (logos pris ici dans sa signification forte de « sens »). Le but consiste à amener la personne à se distancer de sa souffrance (ce qui passe aussi par la prise en compte, l’écoute de la plainte) pour la surmonter, la dépasser et s’ouvrir à de nouveaux possibles. 

Quand nous sommes frappé·e·s par le malheur (crise) et qu’il paraît difficile de donner du sens à ce que l’on vit, il est important, dans un premier temps, de pouvoir se distancier de la souffrance que l’on subit. Pour cela, il est important de pouvoir parler et exprimer ce manque de sens qui nous frappe et d’être entendu·e et reconnu·e dans cette difficulté. Cela permet ensuite décentration, dépassement et changement de regard pour assumer mes responsabilités et répondre aux défis lancés par la vie. C’est un mouvement identique, dans une perspective chrétienne, que propose l’ouvrage de Jean-Denis Kraege. 

Anne Sandoz Dutoit a encore brièvement abordé la question de la dialectique entre santé de l’individu et santé de la société.  Elle s’est enfin demandé quelle était, à l’heure de la crise, la santé de la théologie et des Eglises pour faire face et aider à faire face. 

C Temps collaboratif : « Les ressources de la foi chrétienne »

Le but initial de ce moment était de finir avec une proposition de formulation des différentes ressources de la foi chrétienne en temps de crise (via l’exemple de la crise sanitaire actuelle). Finalement, ce temps collaboratif a plus pris la forme d’un échange libre dont sont ressortis plusieurs éléments en lien avec la question « fil rouge » que je retranscris ci-dessous.

Perspective eschatologique et confiance

L’une des ressources fortes du christianisme face à la crise est l’annonce de notre résurrection à la fin des temps. Quand bien même cette dimension eschatologique est elle-même source de souffrance et de difficulté, elle nous offre une espérance sans conditions.

Le christianisme ne propose pas de faire confiance à Dieu sur la base de signes précis et clairs (des conditions) qu’il nous donnerait sur l’avenir de nos sociétés, cultures et même de nos Églises, mais une confiance qui espère en Dieu quand bien même elle ne voit pas toujours les signes de son agir. Dans ce sens, une réelle confiance en Dieu appelle à un lâcher-prise total où il faut aussi laisser tomber l’illusion de la maîtrise quand il s’agit de percevoir les signes de la présence de Dieu dans notre monde.

C’est là un défi de la pensée chrétienne mais probablement aussi une ressource pour traverser la crise : quand bien même nous ne savons pas où nous allons, nous plaçons notre confiance en Dieu et croyons/espérons qu’il agit dans nos vies et que nous sommes tou·te·s appelé·e·s à une nouvelle vie, où les crises n’ont plus lieu.

La croix génératrice de confiance

Nous avons aussi rappelé l’importance de la théologie de la croix pour parler d’espérance au sein de la crise, voire même d’espérance via la crise. L’événement de la croix, crise par excellence pour la vie des disciples de Jésus est à l’image des crises dans nos propres vies.

La croix ne contredit pas l’espérance, au contraire, elle la génère. Elle génère une espérance eschatologique telle que décrite plus haut, mais qui nous donne déjà de faire confiance aujourd’hui en vue d’un à-venir qui chamboule dès à présent nos vies.

Ainsi les temps de crise peuvent être des sources de confiance et d’espérance aussi dans le présent ; cette espérance nous permet de combattre et de nous confronter aux malheurs qui ont suscité cette crise.

Résilience et espérance

Un dernier élément que nous avons abordé est la question de la résilience que nous pouvons observer au sein de l’humanité : malgré le fait que l’on accuse et rejette le monde tel qu’il est avec ses malheurs, ses injustices, nous continuons à vivre et à engendrer de nouvelles vies. L’espérance est aussi là dans la reconnaissance de ce chemin que continue de prendre l’humanité, même si elle ne sait pas bien pourquoi elle continue d’avancer sur ce chemin.

L’autrice

Nina Jaillet, est en train de terminer son Master en Théologie à l’université de Lausanne. Pour son travail de fin d’études sous la direction du professeur Olivier Bauer, elle propose une réflexion autour des pratiques et discours de plainte et donne plusieurs pistes pour les (ré)intégrer dans les rituels protestants à travers une « liturgie de plainte ». Depuis septembre 2021, elle a débuté en parallèle un CAS en « Accompagnement spirituel en milieu de santé »proposé conjointement par l’Université de Lausanne (Faculté de théologie et de sciences des religions) et le CHUV.