Cet article résume la matinée Quel ministère pour aujourd’hui ? (02 mars 2022, Lausanne). Les éléments d’écriture inclusive appartiennent à l’auteur.

Le sujet

Nous nous sommes retrouvés le jeudi 2 mars au matin autour de la thématique de la forme du ministère dans la société contemporaine. L’animation a été structurée en deux temps : (i) une présentation de la part du théologien français Elian Cuvillier autour de la figure du ministère pastoral ; (ii) un temps d’échange en plénum autour de questions formulées en sous-groupes.

La pasteure un témoin-herméneute

La posture dans le contexte contemporain

Penser au ministère pastoral aujourd’hui, signifie de prendre un compte le contexte social contemporain, post-68. C’est un monde où l’autorité ne fonctionne plus de manière verticale, qui affirme la liberté et la responsabilité individuelle – avec les effets d’angoisses et de replis que cela génère. Les éthiques sont plurielles, les croyances sont relatives. Les Eglises traditionnelles (mainline) sont dépassées par ce monde, tandis que les jeunes communautés y sont sur-adaptées et ne proposent pas une critique de fond de ce monde – sur les modes de communication, sur une privatisation excessive, sur l’utilisation de la technique, etc.

La question qui se pose pour les ministres de l’Eglise est la suivante : comment être témoins de l’Evangile aujourd’hui, dans la tradition qui est la nôtre ? Avec cette question on assume une posture de déphasage, celle du contemporain telle que Giorgio Agamben la définit (cf. Qu’est-ce que le contemporain, Paris, 2008) : une manière de participer de son propre temps, tout en attestant d’une certaine distance.

Les éléments du croire

Pour Cuvillier, le pasteur, la pasteure se fait interprète et témoins du croire. Il définit le croire comme l’entrelacs de trois éléments :

(i) La relation vivante que le croyant entretient avec ce en quoi il croit (fides qua creditur). Il s’agit là du réel : ce qui advient dans la subjectivité et qui fait vérité. C’est ce que l’on expérimente, ce qui m’affecte et qui devient constitutif de qui je suis.

(ii) Les constructions élaborées qui permettent de dire le croire (fides quae creditur). Il s’agit de l’imaginaire qui permet de dire le réel. Cuvillier identifier cet imaginaire avec la théologie : celle qui est notamment portée par une tradition et une communauté.

(iii) Le texte fondateur qui permet la symbolisation du croire (l’Ecriture). Le symbolique (ce qui rassemble) est la condition de possibilité d’une réforme constante, du dynamise interne du croire.

Il s’agit de toujours tenir la relation entre ces trois termes, dans un équilibre instable et fragile.

Le rôle du ou de la pasteure

Le rôle de la pasteure, du pasteur est de se faire témoin et interprète de la relation dynamique entre ces trois éléments qui forment le croire – Cuvillier renvoie notamment à l’ouvrage de Pierre-Luigi Dubied, Pasteur : un interprète (Genève, 1990).

Le ministre participe du croire, il/elle est un sujet croyant, en relation de confiance et de peur avec ce qu’on appelle la transcendance, éprouvé par la difficulté d’assumer son humanité – qui se réfracte en quatre problèmes : (i) les problèmes matériels (nourriture, repos, habits, etc.) ; (ii) la finitude ; (iii) les catastrophes (fatum) ; (iv) l’autre.

Le pasteur/la pasteure se fait témoin du croire humain pour les autres. Par son témoignage, il/elle les aide à se comprendre eux-mêmes/elles-mêmes comme sujets croyants et ce que ils/elles font et expérimentent dans leur vie humaine devant les autres, devant le texte et devant Dieu. Le pasteur/la pasteure ne donne pas de réponses définitive : elle aide chacune et chacune à devenir sujet de sa propre parole – parce qu’elle-même est une croyante qui expérimenté cette écoute qui permet de devenir sujet de sa propre parole.

En conclusion, Cuvillier insiste sur le caractère irréductible de cette fonction symbolique. Le pasteur/la pasteure est pasteur/pasteure. Par ce titre, elle se fait porteuse pour l’autre d’un imaginaire et de possibilités qui ne sont pas convoquées autrement (par exemple avec l’appellation de directrice spirituelle ou d’animatrice).

La discussion

La diversification du ministère ecclésial

L’intervention de Cuvillier n’a traité que de la figure du pasteur/de la pasteure. Or il y a en ce moment un travail ecclésial sur l’identification d’autres formes de ministères – tant en Suisse romande qu’en France. Par ailleurs, le ministère pastoral n’est pas le seul ministère reconnu par les Eglises : dans les Eglises protestante d’Alsace-Lorraine, ainsi qu’en Suisse romande, d’autres métiers d’Eglises sont reconnus. Ce point a été rapidement soulevé dans la discussion.

Cuvillier est lui-même très sceptique par rapport à ces développements – dont il a déjà été témoin dans les années 70. Il insiste surtout sur l’importance de maintenir le rôle du pasteur/e-témoin-herméneute. Ce qui est cependant clair, c’est que le profil des personnes qui endossent ce rôle est en train de changer radicalement : ce ne sont plus des jeunes qui sortent des études, mais des personnes ayant déjà une expérience professionnelle antérieure. Ceci est à prendre en compte.

Par ailleurs Cuvillier s’est refusé à toute proposition quant aux formes concrètes que doit prendre ce ministère. Pour lui c’est quelque chose qui doit se définir de manière contextuelle.

Travail de compréhension et activisme

Deux autres éléments sont apparus dans la discussion : d’une part la problématique de l’apathie (l’absence de désir) à laquelle l’on fait face en tant que ministre et d’autre part les difficultés d’un langage religieux qui ne rejoint plus les personnes (celui de l’imaginaire théologique, mais aussi celui des Ecritures). Comment créer le désir ? Comment amener les personnes à venir écouter nos prédications et à prendre part à nos liturgies ?

Selon Cuvillier il faut accepter l’échec de la compréhension. Si d’une part on doit travailler à se rendre compréhensible et à comprendre l’autre, il faut en même temps attester que cette quête de compréhensibilité ne peut jamais être complètement atteinte. Cependant, selon lui, ce n’est pas en nivelant les aspérités de l’imaginaire théologique ou des Ecritures que l’on générera une meilleure compréhension.

Il souhaite également prendre ses distances par rapport à volonté de générer le désir chez l’autre. Il y voit un risque d’activisme – et celui-ci n’est pas une solution. Le désir est en fait toujours-déjà présent – une absence de désir pouvant simplement être un désir de mort – nous renvoyant à la relation entre mort et résurrection.

L’auteur

Elio Jaillet est doctorant en théologie systématique à l’Université de Genève. Il est également actif dans l’Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud. Il écrit sur son propre blog Journal d’un Théologien Vaudois Eclectique (https://eliojaillet.ch)


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