Cet article résume ce qui devait initialement être la deuxième rencontre du groupe de travail “Bénir le mariage civil pour tous?” (23.11.2020) avec Gérard Pella, pasteur réformé, membre du R3 (Rassemblement pour un Renouveau Réformé). L’usage de l’écriture inclusive revient à l’autrice de l’article.

Résumé de l’intervention

Gérard Pella invite à compléter le compte-rendu de son intervention orale par la lecture de l’article suivant publié sur le site du R3 : La bénédiction des partenaires de même sexe.

Rappel de l’arrière-plan de la tension

La présentation de Gérard Pella, qui s’exprimait pour le R3, s’est ouverte sur le rappel de la diversité théologique  intrinsèque à l’EERV, mis en parallèle avec le choc vécu par les tenant·e·s d’ une certaine sensibilité chrétienne lors d’un vote à main levée, selon un un système parlementaire, au synode concernant des questions théologiques – à savoir l’acceptation de ministres homosexuel·le·s en 2008 et le rite pour partenaires enregistré·e·s en 2021. Le dispositif a été vécu comme violent.

Ces éléments ont été les déclencheurs d’une réflexion sur l’homosexualité pour Gérard Pella, qui souligne que le R3, formé à la suite de ces questions, n’est pourtant pas dans la recherche de la réaction mais d’un renouveau réformé. Néanmoins, cette thématique de l’homosexualité demeure une corde très sensible, et Gérard Pella  estime essentiel de rappeler que chaque personne doit être accueillie avec respect dans sa singularité et accompagnée pastoralement comme telle, car la communauté chrétienne cherche à accueillir et aimer chacun·e tel·le qu’iel est.

Ce principe ne permet pourtant pas selon lui d’offrir un rite ecclésial de bénédiction des couples de même sexe, par respect pour les textes bibliques qui mettent en cause les pratiques homosexuelles. Dans cette compréhension-là de la Bible, le texte de Matthieu 19,4-6 est central et l’enseignement de Jésus sans équivoque : la Bible appelle donc à privilégier le couple hétérosexuel et monogame. En ce sens, la fonction symbolique de l’altérité apparaît comme fondamentale. Le couple est la métaphore de Dieu et de son peuple, ce qui souligne la centralité de l’union complémentaire de deux sexes différents dans le plan de Dieu pour l’univers.

Avancer en terrain miné

Suite à ces arguments, Gérard Pella estime que tout a déjà été dit sur ce thème, et que le débat est piégé. En effet, sa situation semble à l’instar de Jésus face aux accusateurs de la femme adultère (Jean 8) : si, comme Jésus, il serait mené à contester Moïse, il transgresserait ses propres convictions ; il choisit donc de prendre le temps pour trouver une parole libératrice. Ainsi, l’Eglise risque, quoi qu’elle fasse, de contredire l’enseignement du Christ ; si elle décide que la loi n’est plus valable pour aujourd’hui, elle relative la révélation biblique aux yeux des paroissien·ne·s et de la société ; si elle durcit la loi, en classifiant et catégorisant, c’est aussi manquer à l’enseignement du Christ. Or, ce dernier a gardé le silence, pour ensuite placer chacun·e face à sa propre responsabilité devant Dieu.

C’est pourquoi le R3 a essayé d’appeler l’EERV au silence, en demandant un moratoire, une abstention – cette position s’exprime également dans la lettre ouverte aux délégués à la FEPS en 2019, qui a récolté plus de six-mille signatures. Se positionner pour ou contre, c’est tomber dans le piège.

Désamorcer les mythes

Gérard Pella essaie alors d’avancer à partir de la position d’Ed Shaw, pasteur à Bristol, homosensible et de son livre L’Eglise et l’attirance homosexuelle (Ourania, 2019).

Selon lui, le véritable débat n’est pas exégétique, mais tourne autour de la crédibilité des textes bibliques, qui ne semble plus offrir de possibles pour le quotidien. Ce théologien invite donc à désamorcer les mythes qui nous conditionnent aujourd’hui et à trouver une façon de vivre conforme à l’Evangile. Avant de lister quelques mythes à déconstruire, Gérard Pella insiste: c’est un chemin que nous avons toustes à faire.

Le premier mythe concerne la définition de l’identité humaine via l’orientation sexuelle : ce n’est pas la sexualité qui définit une personne, mais son statut d’enfant de Dieu.

Le deuxième mythe concerne la définition de la famille comme cellule composée d’un papa, d’une maman et d’enfants. Or, la famille selon l’Evangile, c’est l’Eglise et ses membres. Jésus lui-même a appelé celleux qui le suivaient sa famille, et a valorisé les relations nouvelles entre ses disciples. Ce mouvement appelle les familles nucléaires à se décentrer d’elles-mêmes, et les églises locales à devenir des familles.

Le troisième mythe affirme que l’homosexualité ne peut être un mal. Or, devant Dieu, l’humain est responsable de ce qu’il dit, pense et fait, quand bien même il estime ne pas pouvoir changer d’orientation sexuelle. Même s’il ne l’a pas choisie, qu’il est « né avec », l’être humain reste responsable de ce qui reste une imperfection.

Le quatrième mythe porte sur la centralité du bien-être par rapport à l’enseignement biblique. Ce n’est pas le bien-être et le plaisir individuel qui est au centre de la Bible, mais l’existence vécue devant et à partir de Dieu.

Le cinquième mythe concerne la sexualité comme seule occasion d’une véritable intimité – mythe dans lequel l’Eglise elle-même est entrée, instituant une certaine idolâtrie du mariage. Or, cette position laisse trop peu de place à l’amitié profonde.

Le sixième mythe fait rimer « piété » avec « hétérosexualité », alors que la vie chrétienne vise surtout la ressemblance au Christ. Ce mythe conduit aux dérives que sont les thérapies de conversion et à l’hypocrisie, où l’homosexualité est par exemple considérée comme étant plus grave que l’adultère.

Le dernier mythe évoqué par Gérard Pella concerne le célibat, qui ne serait pas bon. Pourtant, le Nouveau Testament le valorise fortement. Il s’agit d’un mode de vie envisageable.

En guise de conclusion de sa présentation, Gérard Pella rappelle la difficulté principale, qui est de parvenir à tenir ensemble l’accueil inconditionnel et le refus d’un rite pour couples homosexuels, puis souligne que le R3, contrairement à Ed Shaw, ne préconise pas de s’abstenir de relations sexuelles.

Par rapport à la question du mariage civil, notre interlocuteur se fait prudent : il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.

On peut trouver une autre version de cette intervention sur le site du R3 : Pour ou contre la bénédiction… ? Peut-on sortir du piège ?

Résumé de l’échange

La seconde partie de l’entretien s’est ouverte sur la discussion avec les membres du groupe.

L’hétérosexualité comme commandement ?

La première question à émerger est celle du commandement divin : l’hétérosexualité est-elle un commandement, et l’homosexualité son non-respect ?

Selon Gérard Pella, le commandement du mariage rentre dans ce cadre ; cela soulève l’existence surprenante de ce qui semble être une loi de l’hétérosexualité – l’enjeu étant de distinguer entre ordre naturel et attente de Dieu à notre égard.

Il est évident qu’il est difficile d’entendre le refus d’un rite validant une relation autrement que comme un rejet, sans jugement des personnes.

La place de l’altérité

En réaction à cette affirmation, le sujet de l’altérité s’est imposé : le couple n’est-il pas forcément un lieu d’altérité, quelle qu’en soit sa configuration genrée ?

Gérard Pella réitère ici qu’il ne vise pas l’abstinence ou même la séparation pour les problèmes de couple, et souligne que l’enjeu n’est pas de demander aux gens d’être sans péché, mais de refuser d’homologuer une pratique contraire aux textes bibliques.

La visée du « Manifeste bleu »

Face à ces éléments, la discussion s’est élargie sur d’autres questions éthiques et la manière dont les aborde le Manifeste Bleu (manifeste du R3).

Ce dernier ne vise pas une lecture biblique littérale mais le respect et l’accompagnement des personnes, avec l’importance de « poser des repères sans jeter des pierres. », et ne se focalise pas sur la question homosexuelle – ce serait plutôt le synode qui a mis le sujet sur le devant de la scène.

L’un des arguments contre l’acceptation de l’homosexualité comme réalité bonne aux yeux de Dieu est l’absence a priori de fécondité, découlant en ce sens du manque d’altérité, des couples de même sexe.

Ceci interroge en retour le rôle de la notion même de fécondité. Si cette dernière peut  et doit être questionnée, il n’en demeure pas moins pour Gérard Pella que le couple hétérosexuel est le lieu par excellence de l’altérité et de la fécondité.

La discussion se conclut sur la place de la sexualité dans la vision portée par le R3 : elle est une bonne chose, voulue par Dieu, au-delà d’un enjeu de survie pour l’espèce. Elle est parabole de la relation de la Trinité en elle-même et de la relation entre Dieu et l’humain.

Discussion du groupe de travail

Comme pour la précédente rencontre, l’entretien s’est terminé pour laisser les membres du groupe de réflexion établir les points clés et les points encore à approfondir de la position présentée par Gérard Pella, que nous remercions vivement pour ses mots et sa disponibilité.

Les aspects de la discussion qui ont été relevés comme tout à fait marquants sont principalement le rappel qu’une personne ne se réduit pas à sa sexualité, que l’hétérosexualité est un exercice de liberté résultant d’un commandement, que la recherche de vérité nécessite un équilibre difficile qui ne tombe ni dans le durcissement ni dans la relativisation de la loi – équilibre qui peut mener à une attitude de silence.

Dans la continuité de ces aspects de la question, il a été souligné que le silence n’est pas nécessairement neutre, et qu’il ne s’agit pas de la solution parfaite.

D’autres points mériteraient également d’être plus longuement médités, tels le rapport au corps (qui ne dit pas tout de la sexualité), la posture qui veut que l’on se pense d’abord comme celleux qui accueillent face à celleux qui nécessitent un accueil, ainsi que les notions de commandements et de normes.

Conclusion

En guise de conclusion, nous nous proposons encore une fois de condenser la proposition présentée tout au long de la discussion :

En-deçà de la thématique de l’homosexualité se pose la question de la gestion institutionnelle des désaccords théologiques : le R3 estime que l’EERV s’est piégée dans son rapport à la loi, par ses prises de position, comme les pharisiens auraient voulu piéger Jésus avec la femme adultère.

Il y a un besoin de recherche de la vérité, qui se base sur l’intuition que l’hétérosexualité fait partie du plan de Dieu, sans pour autant définir l’identité de la personne. Chaque humain doit être accueilli par l’Eglise en ce qu’il est avant tout enfant de Dieu.

L’autrice

Noémie Emery est pasteure stagiaire dans l’EERV, passionnée de pop culture, de queer theology et de féminisme.


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