Cet article résume la première rencontre du groupe de travail « Bénir le mariage civil pour tous? » (14.12.2020) avec Joël Pralong, prêtre et directeur de Séminaire pour le diocèse de Sion. L’usage de l’écriture inclusive revient à l’autrice de l’article.
Résumé de l’intervention
La présentation de Joël Pralong, s’est ouverte sur l’affirmation d’une tension entre doctrine et pastorale : d’un côté, la doctrine est conceptuelle et éclaire le débat, mais elle n’est pas le Christ ; de l’autre, la pastorale se fonde sur l’écoute de ce que Christ dit à chacun·e. Sachant cela, toute personne prend en conscience la décision qui lui convient. Joël Pralong a évoqué les positions et déclarations du Pape François, qu’il apprécie pour son désir de toujours inviter à cheminer avec la personne.
Un horizon pastoral difficile
Le prêtre reconnait que l’homophobie est bien présente, en Eglise et en-dehors, alors même que les personnes lgbt peuvent être des grâces pour les Eglises, puisqu’elles seraient plus sensibles et plus enclines à l’expression artistique.
Il nous confie trouver le catéchisme catholique au sujet de l’homosexualité peu pertinent, trop court et basé sur le Lévitique, cristallisant la doctrine, et appelle à la nécessité de trouver un langage pour évoquer le sujet qui ne soit pas blessant et n’éloigne pas les personnes de l’Eglise. De plus, l’éducation auprès des jeunes est trop hétérocentrée, ne permettant pas au vécu homosexuel de trouver sa place.
La chasteté comme voie
Le thème de la chasteté a longuement été discuté dans le milieu catholique. Elle est présentée comme une amitié qui ne dévore pas et s’oppose à l’abstinence qui ne fait que dénier aux gens des parts d’elleux-mêmes L’essentiel en pastorale est de chercher avec chacun·e ce qui construit ou détruit sa personnalité. Néanmoins, l’abstinence comme perspective spirituelle peut aider celleux qui vivent mal leur sexualité. Joël Pralong en a été témoin.
Dans le prolongement de la thématique, il nous a présenté la pensée d’un père abbé homosexuel du 13e siècle (Aelred de Rivaulx), qui a développé la notion d’amitié spirituelle – ce qui pourrait être une ressource pour aujourd’hui, dans une optique proche de l’agapè.
Notre interlocuteur a ensuite rappelé que le corps est largement abordé dans la théologie catholique, notamment par Jean-Paul II, qui le considère comme lieu de révélation divine. Il reste en revanche prudent en ce qui concerne la « théorie du genre », la trouvant discutable car subjective.
La bénédiction
Pour terminer, Joël Pralong a recentré son intervention sur le sujet de la bénédiction des couples de même sexe.
A la suite du Pape François, il estime important de reconnaitre une union, afin de les protéger civilement – n’entre dans cette opinion aucun jugement moral ou théologique. Par ailleurs, quelque soit le désir de sauver une personne, son choix doit être avant tout respecté, l’Eglise n’ayant pas à écraser mais à accompagner, en posant les bonnes questions. Pour lui, l’aspect positif d’une telle union civile est qu’elle permet d’aider à avancer dans le respect.
Cependant, l’Eglise catholique refuse de bénir de telles unions car elle croit en un modèle de couple exclusivement composé d’un homme et d’une femme. Notons que certains prêtres proposent des bénédictions centrées sur les personnes et non sur le couple. Ce qui permet à Joël Pralong d’insister pour conclure : sur cette thématique, il faut avancer au cas par cas, en prenant en compte le vécu de la personne avant tout.
Résumé de l’échange
Après la présentation de Joël Pralong, que nous remercions ici encore pour le temps d’échange, sont venues les traditionnelles questions des membres du groupe de réflexion.
Amitié spirituelle
Nous sommes donc revenu sur la notion d’amitié spirituelle, pour savoir si elle était également proposée dans une pastorale à visée hétérosexuelle ; or, il s’agit d’une notion expérientielle. Elle n’a pas été conceptualisée dans un bureau du Vatican, nous a rappelé notre interlocuteur avec humour. Aelred de Rivaulx est le seul à avoir élaboré une théologie qui tienne compte de de l’homosexualité. Il est nécessaire de proposer aux couples, surtout aux couples homosexuels puisqu’on ne leur propose rien, de parler d’amour.
Une distinction problématique?
Puis nous avons évoqué la tension qui existerait entre une unique union civile et une différentiation au niveau religieux, surtout au regard de la loin sur les discriminations. Joël Pralong souligne que, selon un certain regard, les lgbt sont une population qui revendique sa différence, et qu’une éventuelle célébration pourrait la mettre en avant. Néanmoins, pour l’Eglise catholique, le couple est nécessairement constitué d’un homme et d’une femme. Elle ne peut que refuser le statut de couple à une union homosexuelle.
Doctrine et pastorale
Joël Pralong différentie certains points jamais remis en cause d’une doctrine qui pourtant évolue, qui devrait être proche d’une théologie du peuple (Vatican II redéfinit l’acte charnel comme épanouissement du couple avant d’être destiné à la fécondité), qui considère principalement l’éthique et la morale. Certain·e·s vivent évidemment en dehors de la doctrine. Mais la pastorale consiste avant tout à se mettre à l’écoute de Dieu et des personnes (« Dieu était là et je ne le savais pas », dit Jacob Gn 28,16), car le but commun de la doctrine et de la pastorale est de permettre la communion en Christ.
L’un·e des membres du groupe de réflexion, catholique, rappelle la lourde importance de la catégorie de nature dans la doctrine, et estime que sur ces sujets l’Eglise catholique n’en est qu’à des balbutiements, avant de se demander s’il y a une voie pour sortir du discours ontologique. Notre interlocuteur répond en terme d’identité transcendée par le fait d’être enfant de Dieu, et critique une lecture de la Bible qui confond morale et ontologie ; pour lui, le rôle de la pastorale est de creuser cette identité profonde, inaltérable.
Chasteté
Revenant alors sur la notion de chasteté, Joël Pralong lui donne une connotation résolument positive, l’opposant à l’inceste, à l’assimilation de l’autre (cf. Aimer sans dévorer, de Lytta Basset). Cette distinction fait sens surtout dans une société de la fusion, qui peine avec l’altérité. Par ailleurs, il évoque que ce besoin de fusion est plus présent dans les couples homosexuels (mais est-ce ontologique ou dû à une société qui les marginalise?), et que ces derniers ont donc besoin d’un accompagnement spécifique.
Une lente évolution
Finalement, Joël Pralong diagnostique son Eglise comme étant lente à l’évolution. Elle est ancienne, énorme, et les voix prennent du temps pour arriver au sommet de la hiérarchie ; l’Eglise catholique a souvent été en danger, mais il croit en une Eglise qui se réduit et se concentre sur les personnes qui ont une vraie soif d’Evangile. Pour accompagner ce processus, il appelle à ne pas hésiter à prendre la parole, à donner des pistes, et surtout à rester compréhensible.
Discussion du groupe de travail
Nous avons conclu notre séance par le traditionnel bilan sur la pensée présentée lors de l’entretien, après avoir pris congé de notre interlocuteur.
Les points positifs à relever sont l’insistance sur l’identité inaltérable comme plus profonde que l’orientation sexuelle (quelle soit homo- ou hétérosexuelle). Cette identité est le véritable but d’un accompagnement pastoral. Nous avons aussi relevé le décloisonnement de la sexualité par l’amitié spirituelle. De plus, Joël Pralong nous a donné à voir une possibilité et une volonté d’être progressiste dans un cadre plus rigide que celui qu’offre le contexte protestant.
Les aspects qui selon nous restent encore à approfondir sont avant tout la prise en compte du spectre lgbtqia+ au-delà de la seule homosexualité, et qui ne tombe pas dans la généralisation. L’approche psychologique nous as semblé également quelque peu bancale et trop facilement rassurante, menant à une catégorisation de personnes.
Nous restons encore en question sur la tension entre doctrine et pastorale : quelle cohérence peut-il exister entre elles, laquelle a la préséance ? En outre, il serait profitable de définir plus précisément ce que l’on entend par sexualité pour poursuivre la discussion.
Conclusion
Terminons par une formulation condensée de la position présentée lors de la séance du jour :
L’Eglise catholique semble habitée par une tension intrinsèque entre une doctrine qui considère l’homosexualité sous le prisme du manque, avec comme pis-aller un idéal de chasteté, et une pastorale qui en insistant sur la charité prône un accompagnement des personnes homosexuelles dans la découverte de l’amitié spirituelle sur un chemin visant la fidélité et la durée.
L’autrice
Noémie Emery est pasteure stagiaire dans l’EERV, passionnée de pop culture, de queer theology et de féminisme.
Ce(tte) création est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité 4.0 International.
- Rencontre avec Jean-Paul Guisan (réformé, C+H)
- Rencontre avec Gérard Pella (pasteur à la retraite, membre du R3)
- Rencontre avec Blaise Menu (pasteur EPG, modérateur de la compagnie des pasteurs [2016-2021])
- Rencontre sur le texte de l’EERS portant sur le “mariage pour tous”
- Synthèse du groupe de travail
Voir aussi
Commentaires récents