Cet article résume la première rencontre du groupe de travail « Bénir le mariage civil pour tous? » (26.10.2020) autour du texte de l’EERS proposé pour la discussion autour du mariage civil pour tous. L’usage de l’écriture inclusive revient à l’autrice de l’article.

Il s’agit d’une rencontre un brin particulière, puisqu’elle a été la première sur zoom pour le groupe de réflexion, et l’unique sans intervenant externe.

présentation du document

Nous avons discuté d’un texte issu d’un comité d’éthique et de théologie de l’Eglise Evangélique Réforme de Suisse (EERS), par rapport au mariage pour toustes au niveau civil. Le texte est intitulé Une pomme de discorde nommée mariage. Le mariage pour tous et le mariage religieux dans une perspective évangélique réformée. Le texte a été rédigé par les théologiens Luca Baschera et Frank Mathwig. Les deux auteurs sont chargés des questions théologiques et éthiques à l’EERS. Nous vous invitons à lire ce texte avant de poursuivre la lecture de cet article.

À la suite de son assemblée de novembre 2019, l’EERS recommande aux Eglises membres d’adopter le changement civil quant au mariage comme pré-requis à la cérémonie religieuse, ainsi qu’une close de conscience pour les ministres réticent·e·s. La proposition avait été faite d’abolir les différences liturgiques entre cérémonie pour couples hétérosexuels et cérémonie pour couples homosexuels, mais celle-ci n’a finalement pas été retenue (cf. les pp. 64 et 86 du PV du synode de novembre 2019).

Echanges autour du texte

La première partie de séance a donc été un échange informel quant à notre lecture de ce texte.

L’étendue du spectre

Les avis sont mitigés. La majorité relève la complexité surprenante du texte, avec une volonté de balayer largement la question. En dépit de cette complexité, il présente une focalisation sur la question homosexuelle, sans prise en compte plus vaste du spectre lgbtqia+ – ce qui empêche peut-être de complexifier d’avantage le propos.

Par exemple, il a été relevé que dans la communauté bisexuelle, la parentalité est déjà possible et existante, et ne pose donc pas la question des enfants de la même façon que l’homosexualité. En réponse à cela, il a été avancé que de se focaliser sur l’homosexualité permettra peut-être de faire émerger des questionnements et prises en compte des autres identités lgbtqia+ plus facilement par la suite.

Aspect exégétiques

L’un des aspects du texte ayant été le plus vivement critiqué est une certaine faiblesse exégétique.

Nous sommes revenus assez longuement sur son utilisation de Genèse 1, relevant principalement que ce récit biblique ne parle pas de mariage mais de la naissance de l’humanité. Nous sommes également revenus sur sur l’histoire de David et Bethsabée, qui parle en effet d’adultère mais surtout de meurtre ; quant à Sodome et Gomorrhe, nous regrettons que le document ne remette pas en doute la condamnation de l’homosexualité – alors qu’il s’agit vraisemblablement avant tout d’une condamnation de la violence et du viol, de la sexualité comme asservissement, loin des questions de genre, absentes par ailleurs de l’esprit des auteurices bibliques.

En effet, mettre en parallèle nos questions actuelles sur l’amour, la famille, le mariage entre personnes majeures et consentantes n’a que peu à voir avec les problématiques bibliques ; en ce sens, ce que, par exemple, Paul fustige dans ses lettres ne sont pas des relations homosexuelles telles qu’on l’entend aujourd’hui mais des rapports déviants de domination.

Historique sur le mariage

La partie consacrée à la théologie du mariage nous a semblé inutilement étendue ; le parcours historique aurait mérité d’être condensé. Surtout, l’opposition entre les théologiens Emil Brunner (1889-1966) et Alfred de Quervain (1879-1927) ouvre une tension dans la compréhension du mariage sans rien proposer pour la résoudre – ce qui a poussé l’un·e des membres du groupe à déclarer que le texte est « très protestant : ‘on vous donne tout, décidez par vous-même’ ».

La prise en compte du couple

Autre point qui nous a laissé sur notre faim : la prise en compte du désir des couples homosexuels à se marier. Si la question est évoquée dans le document, elle n’est pas développée, ne permettant pas de discuter le sujet plus concrètement. Par ailleurs, la manière de parler de ce désir a été ressentie par certain·e·s comme le rendant déviant – il serait une bizarrerie dont il faut bien faire quelque chose – questionnant sa légitimité. On pourrait aussi approcher les couples homosexuels sans chercher à leur imposer une particularité fondamentale – dont beaucoup ne veulent pas.

La visée du texte

Finalement, quel était l’objectif de ce texte ?

Avec un brin de véhémence, certain·e·s y ont vu un soutien à la discrimination, ou du moins à la liberté de conscience, avant d’être une discussion prenant en compte le vécu des personnes concernées par le mariage pour toustes. La protection de celles-ci contre la discrimination n’est d’ailleurs pas évoquée en contrepoint. De plus, la confusion persiste à certains endroits du document entre le mariage comme cérémonie et le mariage comme contrat civil.

Selon nous, l’objectif du texte, à savoir poser la question de si l’Eglise protestante de Suisse est d’accord de ne plus discriminer les couples en fonction de leur composition, a été perdu en route, en adoptant une posture défensive par rapport à la norme pénale. La conclusion est en ce sens surprenante, puisque les décisions en faveur de l’égalité prises par l’EERS ne reposent a priori pas sur ce document.

Des nuances difficiles

Une majorité d’entre nous aurait souhaité une argumentation moins timorée en faveur des couples de même sexe, l’argument de la prise en compte de leur désir au nom de la simple ouverture et du refus de les blesser paraissant bien faible. Aurait-on pu oser aller chercher des arguments plus forts du côté de la justice et de l’acceptation, au nom d’un Dieu qui bouscule nos frontières ? (Cf. Actes 11, la rencontre entre Pierre et Corneille.)

Ce qui est en jeu, c’est toute la question de l’obéissance à Dieu, telle qu’elle est posée par le document. Une tension subsiste: ce que certain·e·s comprennent comme obéissance à Dieu n’est peut-être pas ma propre manière de concevoir mon obéissance à Dieu, mais ce désir d’obéissance doit nécessairement m’interpeller.

Ce temps de discussion, plutôt mouvementé, s’est conclu sur le rappel que s’il y a peu de demande de bénédiction de couples partenariés en Eglise, c’est à cause du message globalement négatif que celle-ci leur renvoie, d’où la nécessité d’offrir des signes positifs.

Réception du texte

Après une pause salutaire, le groupe a repris ses réflexions en ciblant la réception que chacun·e a eu du document, puis de l’usage possible d’un tel texte.

Une faiblesse dans la diffusion

La majorité des membres du groupe n’a pas eu vent du document avant de le lire pour préparer la séance. Un·e le connaissait, ayant suivi de près l’évolution des débats à l’EERS, puisque ce texte et les votations étaient très attendues par le groupe Eglise Inclusive de l’EERV, et un·e autre l’a connu en établissant le programme de nos rencontres.

Y a-t-il eu là une lacune dans la diffusion d’un tel document, se souhaitant base de débat ? Cela est peut-être symptomatique du manque de communication entre les diverses Eglises de Suisse.

Un texte difficile à manier

Quant à l’usage du texte, justement, nous regrettons sa longueur et sa complexité, due en partie à un travail par juxtaposition d’avis sans synthèses ni résumés thétiques proposés, ce qui rend son utilisation difficile hors milieu de théologien·ne·s aguerri·e·s à l’exercice d’une telle réflexion.

A notre avis, il ne peut que très difficilement servir à un travail de sensibilisation plus large. Nous regrettons également que le texte ne soit pas suffisamment centré sur la problématique du mariage civil pour toustes.

Ambivalences et point à relever

Les autres ambivalences relevées sont les suivantes : le manque de distinction entre le mariage comme dispositif juridique ou comme bénédiction accordée à un couple (ainsi, de quoi parle-t-on quand on parle de liberté de conscience à son égard?), l’affirmation un peu rapide que le mariage est une volonté divine, le défaut d’exactitude et d’argumentation exégétique, l’absence de travail sur le statut du désir des couples homosexuels, l’absence d’un questionnement sur l’orientation sexuelle dans l’identité créée de la personne.

Néanmoins, ce texte reste un travail important, ayant comme qualité principale d’offrir un panorama extrêmement vaste des positions existantes sans renier les tensions et les contradictions entre elles. Sa démarche permet de dégager des motifs fondamentaux, tels l’alliance et l’obéissance – dont il faut encore développer le sens concernant le mariage civil.

L’autrice

Noémie Emery est pasteure stagiaire dans l’EERV, passionnée de pop culture, de queer theology et de féminisme.


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